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Cycle 3, #21 à #30

mardi 14 mai 2019, par LR

Tout un été d’écriture, de juin à septembre, quatre mois pour construire une ville avec des mots, tous ensemble, chantier collaboratif et quasi quotidien...

PROPOSITIONS #21 à #30

3e cycle : constructions, géométries
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#21 — lanterne magique
 
fabriquer une petite fenêtre en carton, juste de quoi passer le pouce, et appliquer cette fragmentation du voir à l’environnement immédiat de travail — les détails, les couleurs, les micro-formes et tout rassembler dans un bloc chargé de discontinu... en prélude à la proposition 22 !

 

#22 — première cuisine
 
j’insiste : absolument nécessaire avoir fait la 21 avant celle-ci : ce qu’on a fait au présent, et sur le réel qui vous environne immédiatement, on applique le même principe de construction et détail discontinu pioché dans la mémoire : votre première cuisine... ou votre première table à écrire ?

 

#23 — paysage, cinq fois
 
du paysage remplaçant la notion d’image, comme incluant l’observateur, et tenant compte de l’organisation de la ville par rapport au point d’usage ou d’observation, cinq notations selon différentes insertions de ce point d’observation, selon le même principe de discontinuité narrative que dans la 21 (c’est important)

 

#24 — caméra temporelle
 
sur un et un seul des paysages fragmentés de la 23, le développer selon plusieurs positions temporelles précises d’énonciation, soit mémorielles, soit imaginaires

 

#25 — mise en questions
 
de l’accumulation de questions sans réponse comme sauter au travers du réel et lui donner porosité

 

#26 — révélation
 
remonter à la première expérience, pas forcément sur le lieu du récit, que cela remonte à l’enfance ou à un voyage, où la ville soudain nous soit apparue comme concept

 

#27 — arriver
 
gares, aéroports, parkings : la ville on l’associe toujours à comment on y arrive, comment on y entre — d’ailleurs des textes comme ça il y en a plein la littérature

 

#28 — se déplacer
 
métro, bus, voiture, moto ou à pied : chaque mode de transport est aussi un dispositif de perception optique — alors non pas aller d’un point à un autre, mais se concentrer seulement sur un fragment de cette perception en mouvement

 

#29 — rencontrer
 
dans ces lieux que nos descriptions construisent, des personnages qui sont autant d’énigmes — dans les fiches, voir la façon dont Danielle Collobert les fait apparaître, en leur laissant cette capacité d’augmenter encore l’énigme plus que la résoudre — possible envoyer plusieurs contributions pour cette proposition

 

#30 — répéter
 
important : il ne s’agit pas de rituels privés, mais sociaux, ceux qui organisent la communauté — ceux (les plus solennels) qui reviennent une fois l’an, par exemple, mais pourquoi pas plus souvent ou quotidiens — et pourquoi pas en décrire un dans la parfaite équivalence du temps récit et du temps dit référentiel, celui de l’action en temps réel ?

 

 

 

#21 — lanterne magique

 

Fond gris clair, troué, d’où sortent des carrés aux coins arrondis, fins pavés en relief alignés horizontalement et selon une oblique, pas tout à fait en quinconce. Cinq carrés entiers, d’autres qu’on devine. Les rebords gauche et bas sont plus blancs, les à-plats blanc cassé, légèrement jauni. Sur chaque carré, un ou deux caractères imprimés en gris. Sur l’un d’entre eux une trace ovale à peine visible, marron, avec un liseré plus foncé. Entre, sur le gris métal, des petits points blancs éparpillés. Dans le coin en haut à gauche une forme arrondie, orange, à texture de mousse tranchée par une rainure assez profonde. La partie de gauche est plus claire, fonce en allant vers la droite. Au centre, sur fond beige, deux formes superposées pas tout à fait rondes. La première dans des tons mauve, la seconde, vert clair marbré plus foncé. En plus gros, plus clair et plus régulier, le même genre de forme en bleu strié de blanc. Sur chacun des trois objets, des signes gravés. Sur la droite, une lame métallique oblique, grise, imprécise, offre le semblant d’un reflet dans l’ombre des formes colorées. Une texture presque uniforme à dominante ocre-jaune, des lignes verticales, des fibres de bois. Par endroits des lignes plus sombres lacèrent des lambeaux de marron très clair qui tend à s’effacer. De grands traits blancs de part en part, très fins. Puis rectiligne et bien marquée, une épaisse rigole, presque noire sur son tiers gauche virant assez rapidement au presque blanc, sale, ou gris très clair et fibreux, lit desséché d’une rivière canalisée. Une zone lumineuse, presque blanche, ou coquille d’œuf, uniforme comme la lune. À y regarder de plus près, martelée, couverte d’aspérités, de rugosités infirmes, légères différences de tons. Un point noir. Plus loin la même, colonisée par d’étranges signes noirs et plus bas, d’autres légèrement bleu-gris.

 

#22 — première cuisine

 

Le fond est jaune-orangé, satiné. À l’horizontale, de fines lignes marron pas forcément régulières. En haut à droite un petit rond plus foncé que les lignes évitent sobrement. À partir de l’extérieur de ce rond, d’abord une auréole plus claire, étroite et diffuse, puis une tache plus sombre délimitée par une des fines traces marron. L’ensemble est lisse, d’aspect doux. Sur fond blanc finement barré de droites bleutées, une forme vaguement triangulaire, métallique et brillante, arrondie à sa base qui se poursuit d’un rectangle aux reflets plastiques de couleur violet passé. Perpendiculairement à cette base arrondie le triangle semble fendu, traversé de traits noirs, peut-être bleu très sombre, ciselé de part et d’autre de façon symétrique D’un trou rond part une rigole plus épaisse vers l’extrémité. Les deux côtés du triangle dessinent une ligne légèrement courbe, plus lumineuse à droite qu’à gauche. Le fond blanc est régulièrement strié de lignes parallèles bleutées tirant légèrement sur le violet au rythme de trois fines pour une plus marquée. À la perpendiculaire, d’autres lignes, de sorte que conjointement aux lignes plus marquées, elles dessinent à peu près des carrés. Comme reposant sur les lignes plus marquées, des volutes lumineuses et bleues dont l’épaisseur varie. Courbes ou droites, continues, interrompues, point suspendu tracent le plan d’un bien étrange labyrinthe. D’aspect lisse et brillant, la succession des teintes bleues, du clair au presque noir, dessine un théâtre d’ombres. Une ligne horizontale plus claire, d’où se détachent les silhouettes d’un bras, d’une tête, d’un buste humain, et celle d’un dauphin.

 

#23 — paysage, cinq fois

 

Le travail continue malgré la pluie drue qui ne facilite en rien la vie des ouvriers. L’eau marron a recouvert la dalle. Bon-an mal-an, les jambes et les bras couverts de boue, ils charrient les matériaux nécessaire à l’édification de ce qui sera la Tour Chandell. Déjà vingt-quatre étages sur quarante-six. Fière au sommet de la montagne, la nouvelle ville à ses pieds, érigée comme un doigt d’honneur face à l’adversité, aux catastrophes imprévisibles ou depuis longtemps annoncées. Un couple âgé pique-nique à l’ombre d’un manguier du parc Frémy. Les gestes sont doux, affectueux. Quelques coureurs profitent du filet d’air frais. Des pères et des mères veillent sur leurs enfants-aventuriers dans l’ère de jeux transformée en île aux pirates. Plus loin deux cerfs-volants. Les clameurs de la ville assourdies on entend quelques oiseaux, le clapot des jets d’eau qui se déversent dans le lac Matatia à la surface duquel vogue la Tour Chandell qui se reflète à la verticale, imprécise dans la brume de chaleur. Sur les rivages de la Punaruu de part et d’autre, l’éclairage public forme un halo serpentant sur les flancs, les lumières des immeubles de trois ou quatre étages maximum, puis des petites maisons de bois sur leurs plateformes suspendues. Les musiques lointaines se réverbèrent, successivement, mélangées. Les moteurs de quelques bateaux qui remontent, des pêcheurs, vers le marché au poisson. Sur le pont Snark, le glissement silencieux de quelques enfants en partance pour l’école, quelques adultes pour le bureau, sac sur le dos, à pied, à vélo, en gyro. Le clair de lune s’apprête à disparaître derrière la tour illuminée où un soleil rouge va bientôt prendre le relais. Le boulevard Matahiapo, complètement saturé de cris, de bruits semble à l’instant beaucoup trop petit pour la vie qu’il contient. Embouteillage géant, les triporteurs bloqués, pour le moment empêchés de continuer leurs tournées de livraisons. Impossible de sortir. Agglutinement chaotique dont le bourdonnement des moteurs électriques rappelle une ruche énervée par l’orage qui gronde. Derrière la Tour Chandell, juste après le bâtiment à gauche, les nuages lourds noirs montent. Les boutiques ferment chacune leur tour dans l’air doré et les ombres allongées. Ceux dont le livreur n’est pas encore rentré patientent sur le seuil, les mains sur les hanches, lisent le journal, rangent, nettoient, profitent de l’air qui s’élève, chargé de poussière, mais qui permet de respirer un peu mieux en attendant la pluie. Les murs ici et là racontent des histoires colorées où le regard peut s’évader. L’atmosphère semble paisible sur la terrasse qui surplombe la marina. Dans la brume, les voiliers amarrés flottent sur la fine couche de nuage au-dessous des oiseaux en plongée dans l’eau en suspension légèrement cotonneuse. Les tasses du petit-déjeuner des touristes glissent silencieusement sur les tables de cette bulle endormie. À deux pas, l’agitation des rues et des galeries. La brume comme une sourdine. Tous, le nez plongé dans leur thé, leur café, sur leur tablette ou les yeux dans la vague du large ensommeillé, lointain, presqu’imaginaire, comme indifférents. À part cette femme au large chapeau de paille qui parle avec la directrice en montrant du doigt cette haute silhouette illuminée au sommet de la montagne.

 

#24 — caméra temporelle

 

Un couple âgé pique-nique à l’ombre d’un manguier du parc Frémy. Les gestes sont doux, affectueux. Quelques coureurs profitent du filet d’air frais. Des pères et des mères veillent sur leurs enfants-aventuriers dans l’ère de jeux transformée en île aux pirates. Plus loin deux cerfs-volants. Les clameurs de la ville assourdies on entend quelques oiseaux, le clapot des jets d’eau qui se déversent dans le lac Matatia à la surface duquel vogue la Tour Chandell qui se reflète à la verticale, imprécise dans la brume de chaleur. La boue rouge d’une terre trop piétinée labourée par les roues des engins de terrassement teinte la totalité du chantier. Les machines. Les cabanes préfabriquées qui servent de bureaux. Les hommes. Maintenant l’urgence c’est rebâtir. Préparer le terrain. Réunir les matériaux. Les pêcheurs ont déjà construit pas mal de pontons et des cabanes de bois sur la Punaruu à ce qu’on dit. Le bois c’est ce qui est le plus accessible pour l’instant. On abat. On débite en planches. Ça change le paysage. Y’a que ce manguier là au milieu des préfa. Le chef a formellement interdit d’y toucher. Un homme solide juste vêtu d’un short jaune et noir charrie des matériaux dans une brouette Des poules et des coqs l’accompagnent. Deux chiens dorment à l’ombre du auvent. La maison — la cabane — mélange la fabrication ancienne à base de bois, feuilles tressées et la récup. Vraisemblablement une seule pièce à tout faire. Dehors un cylindre de tôle alimenté par un tuyau depuis un réservoir d’eau de pluie constitue la salle de bain. Derrière, un potager. Partout des plantes, des fleurs, de jeunes arbres fruitiers qui très bientôt donneront oranges, avocats, mangues, papayes, citrons, uru, bananes, coco. Un jeune garçon est assis, recroquevillé dos contre un tronc d’arbre. L’épaisse frondaison le protège de la pluie dense qui l’a surpris sur le chemin. Trempé de la tête aux pieds il tremble presque. La terre autour de lui finit d’absorber l’eau qui coule encore de ses cheveux, de son t-shirt, de son short. Là tout en bas la vallée Matati’a. Il ne la voit pas. Ne l’entend pas. Mais il le sait. C’est de là qu’il vient. La pluie occupe tout le paysage. Elle recouvre toutes les images. Tous les sons. Les environs ordinairement vides et tranquilles. Un petit coin de nature sauvage qui se mérite. Le scooter ne passe pas. C’est aussi pour ça que c’est tranquille. Enfin, une fine silhouette apparaît derrière le rideau blanc. Une jeune fille aux cheveux trempés arrive en courant.

 

#25 — mise en questions

 

Quel endroit choisir. Quand. Le poteau il est bien en bois. Et les câbles trois quatre. Le nom du bâtiment. Pourquoi c’est cette image qui vient. Où ça va mener. Le type il est sapé comment est-ce que c’est important est-ce que j’en ai besoin. Ça apporte quoi. Comment il s’est organisé le quartier comment il s’est développé avec quelle logique quels événements qui l’habite qui l’anime le vit qui nomme ses rues qui les remplit qu’est-ce qu’on y trouve qu’est-ce qu’on y vend. À quelle heure. La misère elle est là aussi la misère comment on la voit les cabosses les contrastes les gens qui se côtoient. Ils se côtoient mais ils connaissent rien des autres ou si peu ou alors si mais alors ils le montrent pas alors comment ça se passe. Montrer raconter sans trop en dire où s’arrêter comment quel espace laisser. Il est où ce foutu glossaire. Et là quand moi ça m’arrive qu’est-ce que je ressens qu’est-ce que je retiens les odeurs les couleurs qu’est-ce que j’entends sur quoi se porte mon attention et pourquoi ce serait pareil pour elle est-ce que notre histoire ne fait pas que tout ça est différent et est-ce que c’est pas justement avec ces différences qu’on raconte des histoires mais alors comment faire. Où est le soleil. Il est quelle heure c’est orienté comment il est où l’est quel alignement qu’est-ce qu’on voit de cet endroit-là à cette heure-là et la boutique de beignets elle est ouverte elle est fermée la patronne le patron les employés qui arrive en premier. Comment c’est éclairé organisé décoré qui ça veut attirer qui ça accueille qui passe par là et les loupés les problèmes de budget les projets abandonnés les pannes de réveil un malade un travail pas fait. Ils sont où les terrains vagues les recoins les lieux que Tripadvisor référence pas. Et hier y’avait quoi là il s’est passé quoi et avant et y’aura quoi demain la semaine prochaine et dans dix ans. Et le bus il passe à quelle heure et il passe par où est-ce qu’il va s’arrêter juste devant ou un peu plus loin qu’est-ce qu’il y a sur le trottoir est-ce que c’est encombré et le groupe de musiciens il joue quoi et est-ce qu’il joue bien est-ce que les gens s’arrêtent devant pour les écouter est-ce qu’ils ont le temps. Et le pick-up c’est quoi sa marque et le titre du cover qu’on entend l’instrument qui joue le nom du journal le prénom de la gamine qui livre les repas où ça exactement et de cet endroit-là on entend quoi comme bruit et c’est quoi les contradictions et le sol il est fait comment et la pièce elle fait quel bruit en tombant. Qu’est-ce qu’elle a dans la tête qu’est-ce qu’il essaie de cacher ou de dire et pourquoi et pourquoi le chercher.

 

#26 — révélation

 

La première fois que j’ai pensé à la ville en tant que telle, comme concept — j’ignorais alors l’existence-même de ce mot, concept —, c’était lors de la description des éléments constitutifs d’une cité romaine. Il faisait chaud dans salle de classe, fenêtres ouvertes sur la cour du collège, je m’imaginais facilement en pleine Rome, la Loire aurait remplacé le Tibre. Bâtiments de prestige, administratifs, d’hygiène, agora ; lieu d’organisation et d’expression. Bien au-delà des simples citadelles destinées à protéger leurs habitants, c’était là l’ancêtre des places, des mairies, des piscines, des bibliothèques, des théâtres, des stades qui m’étaient familiers, qui avaient pris modèle, tels que je les voyais en traversant la ville. La patinoire aussi ? La succession des commerces qui aujourd’hui se ressemblent tous, ou quasiment. La concentration, l’accumulation qui me ramène à cette image, ce souvenir, de trajet en voiture, cette succession dense de constructions basses qui n’en finissait pas. De jour. De nuit sous la lumière orange. Multiples enseignes floues. Panneaux publicitaires géants. Où était-ce. Quand était-ce. Je ne sais pas. Seule l’impression de cette ville horizontale interminable m’est restée. Est-ce une bribe de ces trois jours d’escale forcée à Los Angeles. J’avais quatre ans. Ou alors le souvenir d’un quartier souvent fréquenté mais qui a tellement changé que je ne reconnais plus. Mille feuilles. La ville comme lieu en perpétuelle construction. Les bâtiments, les quartiers qui disparaissent. Qui apparaissent. En constante évolution. Les vestiges médiévaux retrouvés lors d’un chantier de construction d’un nouveau bâtiment place François Sicard, sur le trajet du lycée, préalablement enfouis sous un bâtiment détruit. Mille feuilles des étages aussi. Vies, histoires, bruits, odeurs superposées, parfois emmêlées. Fulgurance naïve, révélation du haut de mes onze ans au pied de la barre d’immeubles où vit une copine alors que je vis moi aussi dans un immeuble, pas dans des barres, un de taille plus modeste, un feuillet moins dense, moins épais. La ville-feuilles des couches sociales aussi. Quartier populaire ou bourgeois, ghettos, et par la description d’un immeuble parisien du 19e (siècle) dans un roman honni — Bel-Ami ? — qui ne m’aura pas encouragé à la lecture précoce des classiques, toucher du doigt toute la symbolique de la hiérarchisation sociale, du tri et du classement. Voir pour la première fois des bidonvilles à la télévision. Les cabanes de tôle, de plastique voire de tissu n’avaient en soi pour moi rien de choquant. Mais la détresse dans le regard de leurs habitants. L’indécence des images de ces gens qui meurent de faim alors que moi j’ai l’estomac plein. Rescapés sur un radeau de déchets. Le scandale du réel derrière l’image. La porte discrètement laissée entrebâillée en bas pour que le monsieur qui tend la main puisse au moins trouver un abri dans le local derrière les poubelles où passent les tuyaux du chauffage. Les murs. Ceux de la rue des rossignols. Les murs de ciment derrière lesquelles peut-être quelques jardins tentent de faire coussin entre les murs de brique rouge des corons, le bitume de la rue et la vie parallèle des voisins, parfois en symétrie, comme le reflet d’un miroir. Les murs partout, pour se protéger, pour ne pas voir. Une ville, c’est pourtant plus grand qu’une nation. Origines, richesses, langues, cultures, croyances, points de vue. Tous s’y mélangent. Lieu de tous les possibles aussi ? La ville comme monstre géant, Léviathan, baleine ou requin qui avale les foules et recrache ses pantins, bientôt transformés, tantôt déchus tantôt initiés. Récemment, traverser un éco-quartier. L’alliance de petits bâtiments à ossature bois, grandes zones vitrées, murs végétaux, des espaces verts parfaitement intégrés dans la cité, non plus seulement dose de chlorophylle nécessaire cloîtrée dans l’uniforme gris. La ville n’a donc plus à être opposée à la campagne, à la nature telle que conçue aujourd’hui, quasiment partout canalisée, même à la campagne. À la campagne surtout. Zones urbaines et zones rurales… Mixité des humains aussi. Mixité socio-économique. Mixité des générations. Économie locale et circulaire. Réinventer les villages avec des mots savants. Réapprendre à vivre ensemble. Nature, culture, moins vieux, moins jeunes, étudiants, retraités, chômeurs, cadres, ouvriers, familles, couples, personnes seules. Créer le contexte pour créer le lieu. L’ensemble — au lieu des ensembles. Qu’est-ce qui provoque ou pas la rencontre, avec qui, qui influencera toute une vie. À qui on le doit. Coup de chance ou de malchance, le karma ? Au talent des collaborateurs d’un cabinet d’urbanisme ? Un peu de tout ça ? Mais le quartier, tout juste construit, était à peine habité. Une question me traverse alors que moi je traverse cette ville qu’on dirait fantôme. Une ville vide est-elle encore — déjà — une ville. Je me souviens la New-York interdite de la Planète des singes, la version cinéma de 68, toutes ces coques vides qu’on rencontre dans les romans et les films post-apo, ou tout simplement les images relayées des cités accablées, désertées, calcinées ou encore ces décors de carton-pâte sortis de terre en quelques nuits pour accueillir les travailleurs qui ne viendront jamais, la faute à l’usine qui n’ouvrira pas, à la faillite de la compagnie, à un projet mort-né. De ces villes ou presque-villes à la frontière floue que reste-t-il. Qu’ont-elles toutes en commun sinon des tentacules immenses… des routes, des lignes de train, des ports et des aéroports, des lignes électriques, des câbles de téléphone… des antennes, quartiers nouvellement annexés. Et puis cette image du marché, cœur de la cité, grande halle, armature métallique qui vibre au rythme des passants. Je n’en ai pas de souvenir petite, pas d’image consciente, mais au moins d’un retour il y a vingt ans. Et puis cette année. Autre regard. Autre analyse. À vingt ans d’écart, les mêmes choses qui semblent totalement différentes selon l’attention qu’on y porte. Et tous ces gens qui crient qui discutent qui sourient. Qui achètent et qui vendent. Qui échangent. Qui se rencontrent. Qui rient, qui plaisantent. Qui partagent. Toutes les couleurs, toutes les voix, toutes les idées, tous les regards mélangés, toutes les histoires individuelles, infiniment tissées. Toutes ces réalités qui se frottent. Ces altérités. Finalement, n’est-ce pas ça pour moi la ville… Une concentration de gens, des êtres avec chacun leur histoire, avec des routes, des lignes et des câbles pour les relier.

 

#27 — arriver

 

À moins d’arriver en proche voisin après… quoi… quarante minutes de ferry, une heure ou deux de bimoteur — alors l’avait-on réellement quittée — quel que soit l’état d’esprit dans lequel on arrive, excitation, lassitude, soulagement… le corps est forcément fatigué par plusieurs heures sans bouger, d’exiguïté, d’air conditionné et pressurisé, ne sachant plus à quelle horloge se fier. On arrive généralement de nuit, le plus souvent le soir, comme si tout cela n’était qu’un long rêve. En longue finale directe sur la 04-22, avec dans les hublots de gauche toutes les lucioles de la ville encore allumées, quelques bâtiments, les phares des voitures, les routes éclairées, et dans ceux de droite le noir complet, peut-être quelques étoiles par un ciel dégagé. Bientôt un peu d’air frais. Quand on arrive on descend les marches de l’escalier d’embarquement les bras chargés. Un peu d’air, humide, il fait 27°. Déjà les sensations reviennent. Traverser le tarmac jusqu’à l’aérogare, se délier les jambes, formalités. Puis enfin les visages amis, pas vus depuis longtemps, qui ont manqué, les fleurs et leurs parfums qui sautent à la gorge, qu’on ne peut refuser, qu’on est content d’arborer, les bras, les sourires, les quelques mots, ou alors on attrape un taxi. On arpente les avenues puis les rues sous la lueur orange des lampes à vapeur de sodium depuis un siège passager. L’occasion de profiter d’un filet de vent. Retrouver ses repères, découvrir ce qui a changé, interroger. On débarque ses affaires qu’on pose à côté d’un lit. Il est déjà tard. On échange encore quelques mots. Prendre un peu de repos. Ici on se lève tôt. Réveil sur 5h30. Reprendre le rythme. Tout de suite. On verra bien alors si tout cela n’était qu’un rêve. Demain si ce mot a encore un sens. Tout à l’heure… Plus tard.
Quand on arrive on prend une douche, et on dort.

 

#28 — se déplacer

 

Avoir les yeux partout. Sur le paysage aussi un peu. Si possible. Bagnoles scooters camionnettes vélos piétons, ça vient de tous les côtés. C’est même étonnant qu’il y ait pas plus d’accidents. Ça roule pas forcément vite — y’en a toujours quelques uns — mais ça roule efficace. Un peu comme à Paris. Mais en beaucoup plus détendu. Ici le klaxon ne sert qu’à dire bonjour. C’est sans doute cliché, mais j’ai tendance à penser que la façon de conduire, de circuler, qu’on peut retrouver dans une ville, une région, parfois tout un pays, raconte beaucoup sur la culture — ou la mentalité, mais c’est lié — de sa population. Sur son état moral peut-être aussi. Malgré la profusion d’usagers de toutes sortes, un code de la route qu’il a peut-être fallu apprendre, il y a longtemps, tout roule, sous le regard bienveillant d’un dieu, du chaos, de la fatalité ou du destin, ou alors du respect et du bon sens. Un piéton veut traverser ; on met les warning et on s’arrête, de chaque côté de la chaussée. On a priorité mais l’autre a le temps de passer si on ralentit légèrement ; un appel de phares, un signe de la main, ça évite d’encombrer. Les autres ne sont pas réduits à des boîtes de ferraille autonomes. Y’a des gens. On s’énerve pas. Parfois une phrase un peu moqueuse, gentiment. Simplement. C’est fluide. Se garer. Enfiler ses savates. Marcher. Tranquillement. Pas besoin de se presser. Ça sert à rien. Prendre le rythme. Respirer. Sentir l’étreinte — la presse — me quitter. C’est aussi simple ? Faut croire. Ce serait malsain d’aller plus vite. Dans la rue les gens discutent, font du shopping, téléphonent ou prennent une photo pour mémo, pour Insta, pour mamie. Je me glisse dans une rue calme pour couper. Arrières de restaurants, entrées d’immeubles, sorties de parkings, poubelles, une autre vie sociale, d’autres odeurs. Un scooter s’arrête, donne un paquet au jeune gars qui attendait et s’engouffre à grands pas dans une cuisine résonnant d’éclats de voix aux accents exotiques, fait demi-tour, revient vers moi, une jeune nana gracieuse, une oreillette qu’on devine sous le casque. Retrouver l’avenue, les boutiques, les musiques, les ronrons de la circulation, les pulsations de la ville dans le flux d’une de ses principales artères. Déboucher sur la grand’place, un de ses cœurs. La traverser. Lentement. Prendre le temps. Contempler. Partager. Vivre même si l’on ne fait que passer. Vibrer au son de la rythmique, des rires, des joueurs de dominos ou de cartes, des dormeurs installés à l’ombre d’un rideau de feuillages, des chiens qui se baladent, des chats sur le muret du parc, des oiseaux qui ondulent d’un arbre à l’autre ou grappillent quelques miettes sans se méfier. Le tourniquet automatique mérite son nom de sas. Derrière les parois de verre. Pas la même température. Pas les mêmes bruits. C’est le même carrelage que dans la galerie ? Peut-être la même musique. Une aire de jeux aujourd’hui désertée. À droite l’enseigne du cinéma. Cinq films à l’affiche. Le comptoir de pop-corn, glaces et sodas. Dans tout l’espace du hall le parcours d’une expo, « Artisanat d’hier et de demain », des pièces au dessin novateur, un écriteau « fabrication à base de méthodes ancestrales », des boucles de vidéos des artisans-artistes expliquant leur démarche et le désir de partager leur passion. Au fond l’entrée de la médiathèque, vaste, confortable et richement garnie. L’affiche du programme des animations dès septembre. Des présentoirs de flyers sur les différents endroits à visiter, les fêtes estivales, les associations, un panneau d’annonces. À gauche de l’entrée, enfin, ce bouton et des portes vitrées de chaque côté. À part le panneau de commandes qui doit masquer le mécanisme, tout est en verre, même le sol. Transparent. La pression du pouce donne lieu à une légère pression sur mes jambes. C’est impressionnant. Dans mon aquarium, plus de son, plus d’odeur, plus rien sinon que la vue. Les piétons qui s’éloignent doucement, parfois sans bouger, la place, la circulation silencieuse, la tache verte du parc. Déjà le sommet des autres immeubles, le lac sur ma droite, la perspective écrasée des bâtiments le long des rues qui descendent, et tout au fond l’océan. Les mâts des bateaux de plaisance, la vallée à gauche. On aperçoit le port de pêche. Des coques de noix pas plus grosses qu’un bout de doigt. Encore plus loin et derrière, les vallées que je devine plus que je ne les vois, que je connais. Le tout entouré de bleu. De tous petits personnages évoluant dans un fabuleux mécano. Presque embrasser d’un seul regard cet être qui vibre et se répand, autonome, qui vit et qui grandit, dont je fais partie. Infime élément. Si petit vu des yeux de ceux tout en bas. 46e étage. Déjà. Prendre un café. Non tiens, plutôt un cappuccino. Prendre le temps de profiter de la vue, de tous les côtés. La montagne. Puis redescendre. Tranquillement. À cette heure-là les arrêts seront plus nombreux. Le temps de m’attarder sur chaque quartier, les immeubles, les cours, les maisons, les rues, les gens, leurs mouvements avant de retrouver peut-être mes deux pieds par terre. Ce matin encore je ne pensais pas pouvoir un jour venir ici. Il suffisait d’un rien.

 

#29 — rencontrer

 

Sur son établi précaire à même la rue elle a préparé ses godets une bouteille d’eau une paire de ciseaux un couteau. Au pied d’un des tréteaux trois seaux de sable et de terre et le pied du parasol coincé. Depuis tout à l’heure elle remplit ses godets avec le mélange terre et sable. Une terre riche presque noire qui colore ses doigts, le sable noir aussi tout fin qui s’installe sous ses ongles épais mais soignés. Gestes sûrs. Mains habituées. Elle a sorti de son salon ses récipients. Verres, bouteilles plastique ou carton coupées à leur moitié, un peu plus, un peu moins, selon… Des montages de cure-dents et de pinces à linge maintiennent hors d’eau les parties hautes des boutures qu’elle attrape délicatement, contrôlant de son oeil averti les racines tout juste développées. Elle me dit que celle-là attendra la semaine prochaine. Elle me dit d’aller la reposer sur le bord de la fenêtre de sa cuisine, c’est la bonne exposition. Son appartement entièrement rempli de plantes. Petits pots, grands, hauts, posés sur des tables, au sol, sur le rebord de chaque fenêtre, suspendus. Sur la paillasse de l’évier une dizaine de culs de bouteilles de lait, soda, eau, pots de glace, de yaourt d’où sortent des tiges et quelques feuilles juvéniles, une assiette, une fourchette, une petite cuillère. Son appartement, débordant d’odeurs, de couleurs. Elle me dit que là où elle était avant elle avait un grand jardin mais que maintenant la ville entière est son jardin. Elle me dit que c’est sa tante qui lui a appris. Il y a longtemps. Parfois des gens des voisins lui apportent un fragment de rameau ou même un nouveau plant. Parfois juste une feuille ou une fleur. Alors elle dit comment faire, où couper, quand, comment soigner. Quand ses godets sont prêts elle les dépose dans deux cageots qu’elle a préparés. Elle me dit d’aller chercher la fourchette. On part dans les rues, toutes les deux, chacune un cageot dans les bras, un seau de terre, le couteau, la fourchette. Elle me guide. Elle sélectionne. Là pas besoin. Elle est passée la semaine dernière la jardinière est déjà pleine. Dans celle-là on peut rajouter le jeune rosier. Elle connaît les complémentarités. Les voisinages à éviter. En passant parfois elle retaille. Un peu plus loin un bac à l’abandon, mousseux, quelques touffes d’herbe ici, là. Elle me dit qu’il faut faire attention. Qu’ici y’a pas de soleil. Elle me dit les plants qu’on peut laisser. Elle me dit comment. Elle me dit les couleurs qui viendront. Que si on met comme ça ça respirera mieux. Que ce sera plus joli. On va plus loin. Elle récupère quelques fruits. « Sers-toi ». Elle me dit de garder les noyaux et les pépins. Elle récupère les dernières graines d’un jeune arbuste en train de crever. Elle les met là dans les alvéoles d’un carton d’œufs. Elle me dit que là où elle était avant elle et ses amis avaient fait pousser un verger entier, comme ça. Mais pas cette variété. On continue. Les gens nous saluent. On l’appelle madame Fleurs. On lui sourit. Elle sourit, renvoie un salut de la main, discret. De retour chez elle il ne reste plus dans les cageots que sa fourchette son couteau les seaux vides de terre la bouteille vide d’eau et les alvéoles pleines de graines. Elle rentre. Elle ressort avec une enveloppe. Elle me dit que les graines d’amélanchier donnent un très bel arbuste à baies, mais qu’il ne se plaît pas ici. Elle me dit qu’il faudra que je les plante rapidement une fois rentrée. Elle me dit comment. Je la remercie. Je lui dis que j’en mettrai dans le jardin, que j’en donnerai à mes voisins, que j’essayerai d’en planter ici et là dans le quartier. Mais que peut-être je peux partager aussi, si ses amis en voulaient, peut-être que ça pousserait là où elle était avant ? Le regard lointain un instant. Une tristesse qui surgit. S’enfuit. Elle ne dit rien. Elle me sourit. Puis referme de ses deux mains la mienne sur l’écrin.

 

#30 — répéter

 

Tina est venue me chercher. Elle m’a aidé à cacher le carton à l’abri de l’humidité. Celui-là est souple et épais. Elle m’a pris par le bras et on a marché. Ça me fait plaisir à chaque fois de retrouver d’autres bruits, d’autres odeurs, d’autres sols. À chaque fois ça me rappelle un peu les vacances dans mon jeune temps. On discute. Plus longtemps que d’habitude je veux dire. Elle me raconte son quartier, me donne des nouvelles de sa famille, le petit dernier qui fait ses dents, qui marche, qui ne veut pas faire la sieste, qui rentre à la grande école, qui est revenu avec les genoux déchirés, qui a été pris à sécher les cours, qui flirte avec deux copines en même temps, qui intègre l’école d’ingénieurs, pas celle qu’il voulait mais c’est déjà pas mal et ça lui assurera un avenir. On arrive à sa porte. On rentre dans son salon. Ça sent bon. Un mélange d’hibiscus et d’épices, de coriandre et de lait de coco. Ou du jasmin. Elle bouge une chaise et m’installe à côté du bureau. Pendant qu’elle coupe un fruit, elle sait que j’adore l’ananas, les oranges, la papaye, elle continue à raconter. Elle me raconte sa vie, celle des voisins, du quartier, alors c’est un peu comme si j’en étais. Elle pose l’assiette sur la table basse à côté, prend délicatement ma main et la guide pour me montrer. C’est toujours le même endroit. Comment oublier. Elle prépare aussi un thé, verse deux verres qu’elle pose sur le bureau. Elle va chercher les papiers. Ils veulent bien les garder à la mairie ils m’ont dit, mais je préfère autant qu’ils restent chez Tina. À la mairie il y a beaucoup de monde déjà. Et puis on sait jamais. Puis au moins chez Tina tout est là. Dans une grande enveloppe. Elle s’assoit. Elle sort un papier. Et puis elle se met à taper sur son clavier. À chaque fois elle m’explique ce qu’elle fait. Et pendant ce temps-là on boit le thé. Je nous attrape un morceau de fruit avec un cure-dent, je fais attention pour ne pas tacher. Elle se connecte sur l’espace internet. Maintenant aussi elle cherche ses lunettes. Elle rentre les codes, les références. Rien que des suites de chiffres qu’elle me lit. Elle me lit tout ce qui s’affiche sur son écran. À force ça fait comme une vieille chanson. Le nom. Ce nom que je n’entends plus qu’une fois par an. Le prénom. Date et lieu de naissance. Comme si ça changeait. L’adresse de la mairie. Déménagements, changements. Il y en a eu tant. Et si peu. Elle valide. Écran par écran. Enfin arrive la case tant attendue. Cocher. Tout ça pour ça. Aucun revenu. Valider. Dater. Signer. Pas en vrai. Une signature électronique, un code envoyé. « Ça y est ! » Mais moi je n’ai rien fait. J’aurais pu aussi bien ne pas être là. Après elle imprime un récépissé qu’elle ajoute dans l’enveloppe. On recommence à discuter. On finit le thé. Les fruits. On rit, des fois on pleure. Comme ça m’arrivait avant. Après elle se lève. Elle va me chercher une serviette, un savon. Elle me montre la salle-de-bain, la douche, toujours au même endroit. Elle lave mes vêtements quand ils ne sont pas tout juste bons à jeter. Je me lave. En prenant le temps. Sans la crainte… Ça m’est pas arrivé souvent. Mais c’est arrivé. Quand il est rentré Jordan vient maintenant m’aider à me frotter le dos. C’est un bon gars. La chair et les os tirent un peu plus à chaque fois. On ne rajeunit pas ! ah ça non. Elle me donne un nouveau t-shirt, de son mari ou de son fils, ou d’un cousin, un nouveau short. Comme neuf. On se met un peu dans le canapé, on écoute les infos à la télé. Après on dîne. Tina a préparé un repas de rois. Une grande casserole de riz, du poisson cru coco, des courgettes fondantes avec un peu d’ail et de la sauce huître, des grosses crevettes toutes chaudes qu’elle a décortiquées, des œufs au sel, du uru cuit à l’étouffée… bien plus que mon estomac ne peut accepter. Un vrai délice. À la nuit tombée, Tina et son mari, Tina et Jordan, ou parfois toute la famille me raccompagne, en nous promenant. Silencieusement. Je retrouve mon carton. Maintenant j’essaie de rester à peu près au même endroit, en face du fleuriste, pas loin des toilettes publiques, de la fontaine de la mairie, les gens me connaissent. Ils sont plutôt gentils. Mes habitudes. Mes repères. Et puis mes nouveaux vêtements et mon savon neuf. Tina et son mari m’ont plusieurs fois proposé de rester. Au moins pour la nuit. Moi je pense que la fête ne doit pas trop durer. Après on s’habitue. On fait plus autant attention. Après c’est plus dur de retourner. Je ne pourrais pas dormir de toute façon. Trop habitué à partager ma couche avec la fille de l’air… Mais quelle belle journée.

 

 

 

16 juillet au 16 août 2018